Des godillots de permanence ?

Absentéïsme parlementaire ou cohérence démocratique ?

Mis-à-jour le Lundi 4 Mai 2009

Comme on peut le constater sur l’image d’en-tête de notre site, les séances en hémicycle à l’Assemblée Nationale affichent souvent des rangs plutôt clairsemés. Si les séances télédiffusées de Questions au gouvernement font généralement salle comble, les débats sur les textes de lois et leurs amendements sont beaucoup moins suivis, par le public comme par les députés. Au point que sur des sujets comme Hadopi qui mobilisent beaucoup le grand public, les tribunes ouvertes au public accueillent parfois trois à quatre fois plus de citoyens qu’il n’y a de députés présents en contrebas.

Comme l’expliquent très bien un député et un assistant parlementaire dans l’émission du site @rrêt sur Images du 24 Avril 2009 ou ce journaliste politique du Monde dans sa tribune consacrée, cette faible présence en débat n’est pas nécessairement synonyme d’absentéïsme parlementaire et il serait injuste de limiter l’analyse du travail des députés à cette seule observation.

En effet, une grande part du travail sur les lois est réalisé dans un premier temps par un long et minutieux travail de juriste consistant en la lecture, l’analyse et la correction de la loi par la proposition d’amendements. Ce travail s’effectue une première fois en commission des lois et dans les commissions concernées par la loi. Au cours de ces réunions de commissions, des groupes restreints de députés, spécialisés dans le domaine abordé, préparent la lecture du texte par l’Assemblée et proposent une version travaillée sur le fond avant le début des débats en plénière.

Il est donc normal, devant la diversité et le nombre des sujets traités par le Parlement, que seuls les députés ayant une connaissance approfondie des sujets puissent participer aux débats. De plus, avec une trentaine de députés en hémicycle, les débats s’avèrent déjà souvent très longs et pointilleux, aussi à 577 députés, il serait certainement très dur de travailler efficacement sur la loi. C’est pourquoi la présence de quelques dizaines de parlementaires durant les débats est cohérente : seuls s’expriment ainsi les députés connaisseurs du sujet afin de poser avec des positions argumentées le débat démocratique sur chaque point en discusssion. Il apparaît donc également comme naturel que ces mêmes spécialistes soient ceux tranchant les débats par le vote, trouvant parfois des accords entre les bancs de la majorité et de l’opposition.

Pourtant dans les faits, les résultats d’une immense majorité des votes, y compris sur des points parfois très polémiques, vont dans le sens favorisé par le gouvernement. Celui-ci s’exprime en effet toujours préalablement à chaque vote pour donner un avis favorable ou défavorable. On entend ainsi souvent le Parlement se voir qualifié de “chambre d’enregistrement”. Qu’en est-t-il donc réellement, alors que seuls les députés s’étant intéressés au sujet débattent? En réalité, pendant les débats, s’ajoutent du côté de la majorité de nombreux autres parlementaires qui ne participent pas aux débats, ne les écoutent souvent pas, et cherchent même souvent à s’occuper à autre chose, mais votent, toujours, dans le sens désiré par le gouvernement, même quand des députés de la majorité essaient de convaincre leurs collègues de faire le contraire : il s’agit de nos fameux godillots !

Des permanences de godillots organisées ?!

Ce qui apparaît comme particulièrement perturbant, surtout apres les propos de M. Copé déclarant “le parlement godillot [...] derrière nous“, c’est que pour assurer cette majorité à tout moment aux choix du gouvernement, les députés de la majorité sont organisés en tours de permanence afin de pouvoir assurer à tout moment leur “solidarité gouvernementale”.

Ainsi le 9 Avril 2009, le député UMP Franck Riester, rapporteur pour la Commission des lois sur le projet de loi Hadopi, explique après le rejet de la loi dans une interview au site de Libération Ecrans.fr :

J’espère, des sanctions contre les députés de permanence absents et des rappels à l’ordre dans notre groupe.

Pire encore, le député UMP Benoist Apparu (qui s’est déjà illustré sur notre site) nous explique en détail dans sa réponse au site Le Point.fr le 16 Avril 2009 comment fonctionnent ces “tours de garde” : les 317 députés de l’UMP sont en fait organisés en quatre quarts d’environ 80 parlementaires prenant en charge chaque mois à tour de rôle une semaine de permanence  :

Prévenir plutôt que guérir. Benoist Apparu, député UMP qui siège au Palais-Bourbon depuis juin 2007, souhaite agir avant que la majorité parlementaire n’essuie un nouveau camouflet. “J’ai été élu à l’Assemblée nationale, je gagne 5.000 euros par mois pour siéger, c’est normal de venir“, juge-t-il. Et de rappeler au point.fr que la semaine parlementaire est - a priori - bien organisée : les députés doivent être à l’Assemblée du mardi au jeudi et dans leur circonscription le reste du temps. “Sans compter qu’il existe un système de permanence“, relève-t-il. Divisés en quatre quarts, les groupes parlementaires sont en effet supposés être présents toutes les quatre semaines, quoi qu’il arrive. “Ils sont prévenus deux mois à l’avance. Alors, si les mecs respectent même pas ça…“, soupire Benoist Apparu, qui jure que “les jeunes élus UMP sont sur la même ligne” que lui.

Même le président du groupe UMP, Jean-François Copé, confirme ce fonctionnement dans une dépêche de l’AFP le 23 Avril 2009 :

[Les] 70 députés de notre groupe qui étaient de permanence.

Il semblerait donc que chaque semaine parlementaire, entre 70 et 80 députés soient chargés, quitte à godiller, d’assurer une présence permettant à la majorité législative de suivre les indications de l’éxécutif. Il s’agirait donc d’une sanctuarisation dans les pratiques parlementaires du godillot avec même une volonté de le réaffirmer. N’est-ce pas quelque peu contradictoire avec les voeux pieux exprimés ces derniers temps par Jean-François Copé ?…

Mise-à-jour le Lundi 4 Mai 2009 :

    C’est enfin d’un bloc que la majorité affirme sa volonté de réaffirmer le fonctionnement des permanences dans cet article de L’Express.fr du 28 Avril 2009 titré “
    Fillon et Copé rappellent à l’ordre les députés UMP
    “ :

    Le Premier ministre, comme le président du groupe, ont dit qu’il fallait que nous nous organisions les jours de séance - les mardis, mercredis et jeudis - afin d’être majoritaires en séance de façon à ne pas à nouveau connaître ce qui s’est passé le 9 avril“, a rapporté Marc Laffineur (UMP), un des vice-présidents de l’Assemblée.
    Ce qui est envisagé, c’est un service personnalisé des permanences (dans l’hémicycle)“, a précisé Michel Bouvard, à l’issue de la réunion du bureau puis du groupe UMP en présence du chef du gouvernement.
    Jean-François Copé, président du groupe majoritaire, a confirmé lors de son point de presse hebdomadaire que “l’essentiel” de la réunion des députés UMP mardi avait été consacré aux “conséquences à tirer de cet incident“.

    Ces propos se retrouvent dans Le Figaro du même jour titré “Hadopi : les députés UMP resserrent les rangs“ :

    «Nous allons montrer aux socialistes ce qu’est une majorité frontale», a promis le premier. Dans la salle Colbert archicomble, où se tenait mardi matin la réunion du groupe majoritaire en présence du premier ministre François Fillon, le député-maire de Meaux a demandé aux élus UMP de «respecter strictement (leurs) permanences dans l’hémicycle», après le rejet de la loi Hadopi, le 9 avril, par 21 voix de gauche contre 15 UMP, «de telle manière que nous ne soyons plus en situation de minorité».

    Ce que traduisent les journalistes politiques Philippe Ricard et Patrick Roger dans un article du Monde ce même jour titré “Création et Internet : l’Elysée ne tolérera pas un nouveau revers“ :

    Les responsables de la majorité sont sur la brèche. Remisés les doutes, les critiques, les interrogations : la question n’est plus de se prononcer sur le contenu du texte - quoi qu’il en coûte - mais d’empêcher un désaveu du chef de l’Etat. Ceux qui, à l’UMP, ne peuvent se résigner à approuver le projet de loi, sont invités à se faire discrets. Les autres devront être “extrêmement présents” - et disciplinés - pour éviter toute surprise.

Publié le 26 avril 2009

 



8 rebonds

  1. Jackie Danielson

    Comment osez-vous mettre en doute la véracité des propos de notre honnorable JF Copé. Je suis tous simplement outrée. Monsieur Copé fait un trés bon travail de garde chioume. C’est son boulot et il le connait. Ave Copé!

  2. Anne Honey-Mousse

    Je vous conseille mon élu, Jean Bardet, 3e circonscription du Val d’Oise : apparemment, personne ne l’a jamais vu à l’assemblée. Il faut dire qu’il a d’autres mandats (conseil général, municipalité), puis qu’il est cardiologue libéral et interne, professeur,… Et peut-être bien d’autres choses (homme invisible ?).
    Ses administrés ont une excellente opinion de lui.

  3. vanupieds, sans godilles

    Sincèrement bravo pour votre site pour aider le seul député -qui a été nommé pour la commission de la France submarine, tandis qu’il eut fallu nommer une commission pour la France sous-marine - mais il aurait été tout seul, car ils y a beaucoup de clostrophobes, allergiques aux séances en salle fermée. Le chef des godillots, qui a donc la langue de cuir, puisqu’il n’a pas la langue de bois -”c’est lui qui le dit”.
    A quel pourcentage, les sondages “flop” vont-ils fixer les députés-godillots ?
    avec ce pourcentage (pour-chantage), on pourrait donc faire des économies de députés -Dommage l’Assemblée vient de renouveller les 577 sièges de velours.Ils auraient dû prévoir des strapontins, mis il n’étaient as anti-escharres.
    Si ce site ne dérive pas, alors chapeau les gars, l’idée est excellente et à la fois drôle ce qui ne gâte rien.Je ne peux pas proposer un député, vous avez déjà le mien, une des rois de la godille, ancien Ministre.

  4. Argos

    Absentéisme, sans tréma sur l’i.
    Ceci dit, bien que n’ayant pas lu tout le site, j’apprécie le respect de l’orthographe et le français utilisé.
    Je salue l’idée, originale s’il en est, du site. On comprendra peut-être pourquoi un député ne défend pas les idées qu’il nous avait présentées avant son élection.

  5. Simon K.

    “Création et Internet : l’Elysée ne tolérera pas un nouveau revers“
    Alors, que va t’il leurs faire à ces députés auxquels il doit son existence ? Une fessée ? un contrôle fiscal ?
    Et alors ? Un peu de courage SVP et de fidelité à vos convictions ! un jour viendra où nos enfants écriront notre histoire pensons y lorsque la motivation faiblit! Que vos oui soient des oui, vos non des non et vos abstentions des abstentions! Vous AVEZ le pouvoir mais par l’abandon de votre mission vous N’ETES PAS le pouvoir, c’est le drâme actuel de notre pays qui se joue là! Je rêve du jour où je pourrai écrire que VOUS ETES LE POUVOIR !
    Salutations tristes.

  6. Arnaud

    Simon, personnellement je rêve du jour ou je pourrais dire “nous sommes le pouvoir.” Mais c’est vrai que commencer par être représentés par nos représentants, ce serait déjà un début.

  7. sayfam

    Bravo à vous qui faites le boulot des médias.
    Félicitation pour ce site, pour votre citoyenneté.

  8. Mapics

    Moi si je reste chez moi, et bien je ne suis pas payer, normal je fait rien. Pourquoi pas eux ?

À propos de DéputésGodillots.info

DeputesGodillots.info est un site communautaire qui vise à recenser les pratiques godillotes de certains députés de la majorité afin de permettre au président du groupe UMP de réaliser sa promesse de mettre fin à la notion de parlement godillot.